Alma Mater

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Alma Mater a été publié dans Marges, revue d’art contemporain #13 : Langage(s) de l’œuvre et de l’art, 2011, ed. Presses Universitaires de Vincennes. Marges #13

texte de Maxence Alcalde

L’artiste développe, depuis quelques années, un travail photographique autour du thème des inscriptions corporelles. Si ses premiers travaux attestent d’une filiation avec les papesses du militantisme artistique (Marina Abramovic, Gina Pane, etc.), elle a récemment développé des séries d’œuvres fortement narratives, au centre desquelles s’inscrit un questionnement sur la construction autobiographique. Cette démarche ne s’inscrit pas, pour autant, dans le courant autofictionnel qui a fait florès dans les années 1990, mais davantage du côté de l’édification de ce que l’on pourrait qualifier d’« autobiographie de tout le monde ».

Dans 30 rue Quétigny, l’artiste relatait son expérience des appartements communautaires qu’elle a elle-même fréquentés. Son récit s’organise autour de rouleaux de tissus sur lesquels elle brode des bribes de discussion, des jugements à l’emporte-pièce, voire des confessions entendues durant cette période de sa vie. Cette pièce marque un nouveau tournant dans son œuvre : désormais, la légende des images apparaitra sur des bandes de tissu brodées, comme les sous-titres d’un film dont on ne comprend pas la langue, la pérennité en plus. Les bandelettes de tissu peuvent également être envisagées comme un pied-de-nez aux savoir-faire réputés féminins, aux « ouvrages de femmes » – qui apparaissent dans les pièces de l’artiste comme un retour du réel face à une photographie dont on doute. D’une certaine manière, elle reprend le processus initié par Godard avec ses Histoire(s) du cinéma où images et sous-titres (mais aussi voix off) viennent porter le sens sans hiérarchie repérable, ou plus exactement avec des niveaux de hiérarchie oscillant entre texte et image.

Pour son intervention dans Marges, l’artiste a choisi de déconstruire à sa façon le jargon universitaire. Alma Mater recouvre un double sens cher à l’artiste : dans sa traduction directe Alma Mater fait référence à la mère nourricière ; mais c’est aussi par cette expression que Rabelais désignait l’Université. C’est en partant de ce paradoxe entre mère nourricière (intellectuellement parlant) et la propension parfois grotesque (et c’est là que nous rejoignons Rabelais) des universitaires à manier le jargon qu’elle a organisé son portfolio. Ici, l’image contribue à la médiation du texte qui semble être convoqué pour sa simple valeur esthétique, parce qu’il « sonne bien ». Mais l’ambiguïté initiée par les combinaisons de l’artiste ne permet pas non plus de conclure à un sens arrêté des termes. Peut-être finissent-ils par se complaire dans leur tautologie, candidats à une gnose infinie. S’en suit un imagier à mi-chemin entre les enluminures des codex du Moyen-Âge et les livres contemporains pour enfant ; preuve s’il en est que les logorrhées universitaires doivent se trouver quelque part entre ces deux pôles.